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a Philadelphie le 17 7bre 1782
Compte que j'ay rendu au ministre du roy apres notre naufrage dans la baye de chesapeack
Un abordage avec La Cerés deux jours après notre sortie de la Rochelle Des vents presque toujours contraires jusqu' a Tercere l'une des açores où nous avons passé trois jours à la mer pour faire de l'eau; des vents encore plus défavorable ou des calmes perpetuels jusqu'a la banlieu des Bermudes, Un combat dans la nuit et la matinée du Cinq contre un vaisseau de 74 dont Laigle et sa Conserve se sont démelés avec autant de Gloire que de Bonheur; Un Attérage enfin après deux mois de traversée, à deux lieues des Caps de la Delaware et dans le point indiqué par les instructions de la Cour; voila le précis des Evénéments qui nous sont arrivés depuis notre Départ jusqu'au moment ou M. de la Touche, qui attendoit à son mouillage dans la matinée du 13 le rétour d'un officier de Confiance qu'il avoit envoyé à terre Dès le 12 au soir pour lui amener des pilotes, à été forcé d'appareiller et d'entrer dans la Delaware sans pilotes et à la vue de deux vaisseaux et de deux frégates angloises qui le chassoient toutes voiles dehors et s'aprochoient de lui à vue d'oeil; mais ne voyant point arriver l'officier qu'il avoit envoyé à terre et jugeant que sa chaloupe pouvoit avoir été jettée à la Côte, ce qui malheureusement n'étoit que trop vrai, et qu'il se trouvoit dans un passage sans issue, il ordonna au commandant de la Gloire d'envoyer une chaloupe à terre avec un de ses officiers pour avoir des pilotes. Il usa encore de son autorité pour forcer un pilote anglois qui connoissoit parfaitement cette rivière, et qu'il avoit pris la veille sur un petit batiment de la marine angloise, à lui faire passer les dangers dont il étoit environné. mais comme il falloit s'elever beaucoup au vent pour rentrer dans le seul chenal par lequel ces deux frégates auroient pu continuer leur marche sur Philadelphie, et que cette manoeuvre ne pouvoit pas s'éxécuter sans passer de très près sous le feu de deux vaisseaux et de deux frégates qui arrivoient vent arrière pour le Combattre, il se décida alors à séchouer s'il etoit suivi et à faire détruire les frégates de manière à ce que les anglois ne pussent jamais s'en servir, à peine eut-il pris cette résolution que les vaisseaux anglais mouillérent. M De la Touche en fit autant, et resta dans dans cette situation pendant plus de quatre heures. L'officier de la
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Gloire lui ramena dans cet intervalle d'excellents pilotes qui lui confirmerent le danger de sa position. Ils lui donnerent d'ailleurs quelqu' espérance que les anglois ne pouroient pas lui faire beaucoup de mal en le canonant du seul chenal par ou ils le suivroient vraisemblement. dans cet etat de perpléxité M. de la Touche apres m'avoir rémis toutes les dépêsches des ministres adressées à MM. de la Luzerne, de Rochambeau, et de Vaudreuil, jugea convenable de me faire porter à terre ainsy que M. le Duc de Lauzun, M. le Mis de Laval et tous les aides de camp ou autres officiers de terre qui avoient passé sur sa frégates. M. de Vallelongue fit embarquer en même temps M. de Ségue et de Broglio et les autres officiers passagers qui etoient à son bord. nous débarquâmes sans accident sur la rive droite de la Delaware, à trois lieues de nos frégates. Je renvoyai sur le champ leur chaloupe avec invitation par ecrit de m'envoyer dans la nuit, s'il etoit possible, tout l'argent dont l'aigle et la Gloire etoient chargés. quoique les anglois eussent appareillé au moment de notre débarquement et qu'ils eussent forcé nos frégates de s'aprocher de plus en plus des dangers qui les menaçoient, les anglois ayant encore mouillé à l'entrée de la nuit, MM. de la Touche et de Vallelongue en firent autant, et ils mirent d'ailleurs tant d'activité pour m'envoyer l'argent qui étoit à leur bord que nous sommes parvenus à le conserver; quoiqu'il ait été, pour ainsy dire, un moment au pouvoir de deux chaloupes de réfugiés qui portoient cent hommes armés chacune. un coup de pierrier tiré très à propos de la chaloupe de la Gloire qui étoit échouée à deux cent pas du rivage; la bonne contenance que nous fimes à terre avec quatre hommes armés et quelques aides de camp; l'audace avec laquelle M. Gourgue officier auxiliaire arrivoit avec les canots de l'aigle sur le point ou il voyoit la chaloupe de la Gloire; tout cela fit une telle peur à cés réfugiés, qui n'auroient pas en vingt hommes armés à combattre, qu'il virerent de bord sur le champ et s'eloignerent ass[ez] pour nous donner le tems de sauver au roi deux millions que nous avons amenés à Philadelphie sous l'escort de MM. les aides de camp et de six officiers du Corps Royal ou du Régiment de Lauzun. M de Sheldon que j'avois chargé en chef de la conduite de ce convoi s'est acquitté de cette commission avec un zèle
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et une intelligence qui méritent des eloges.
M. le Cte de Chabannes; ainsi que MM. de Montesquieu, de Somevie et de Metfort m'ont été de la plus grande utilité dans le moment de nos premiers embaras. Je dois la même justice à M. de Brentano mon aide de camp, ainsi qu'à MM. de Ricé, de Talleyrand, de la [Meth], de fleury, de Vaudreuil, frederick de Chabannes, de [Mointmort] et mon fils. Ils ont montré tous le plus grand zèle et fait sentinelle pendant toutes les nuits pour assurer la conservation du convoi.
M. le Mis de Laval s'est dévoué d'une manière toute particuliere pour faire rétirer de la mer cinq cent mille francs qu'on y avoit jetté dans le moment ou les réfugiés alloient s'en emparer. Sur dix sept bariques abandonnées il en à sauvé quinze entières, et pres de dix huit mille livres sur les deux autres qui s'etoient défoncées à la mer, ce qui réduit à une somme mediocre la perte qui à eté faite dans cette circonstance. M. de Tisseul officier d'artillerie et M. de Brentano se sont employés avec autant d'utilité que de zèle sous les yeux de M. le Mis de Laval pour rétirer l'argent jetté à la mer et pour le faire arriver à Dower dans la même nuit avec autant de diligence que de sureté.
M de la Touche n'ayant pas pu envoyer dans un seul convoi tout l'argent qu'il avoit à bord de l'aigle il y est resté cinq bariques dont on peut evaluer la perte à 150,000[li].
M le Cte de Segur et M. le Prince de Broglio après s'etre employés avec le plus grand zèle à nous ménager les resources du premier moment, ayant bien voulu se charger des dépêsches des ministres pour MM. de la Luzerne, de Rochambeau, et de Vaudreuil, je les ay fait partir pour Philadelphie et pour l'armée. Le Détail adressé par M. de la Touche à M. le Mis de Castries devant vous instruire suffisamment des evénéments qui ont sauvé sa conserve et qui l'ont mis entre les mains des anglois, je me bornerai à vous dire que cet officier à mérité notre interêt général par la distinction, la noblesse, et la fermeté de sa conduite au combat du cinq et dans tous les
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moments qui ont précédé ou suivi son malheur. Il mérite à tous egards que le roi veuille bien diminuer de son chagrin en le traitant avec bonté et comme un officier qui est d'autant plus malheureux qu'il n'a rien négligé pour remplir tous les objets de son instruction.
M. le duc de Lauzun, qui avoit eu la fièvre pendant vingt jours à la mer, et dont la convalescence commençoit à peine lorsque nous sommes débarqués, ne m'a pas quitté dans mes plus grands embaras et c'est à son esprit de conciliation que j'ai du essentiallement l'assemblée de quelques [mikies] américaines et la célérité des secours qui m'ont aidé à sauver le trésor du roi.
Toute la Belle Jeunesse et les autres officiers de terre embarqués sur l'aigle ayant perdu leurs equipages il n'est [sortes de bontés et de soins] que M le Cher de la Luzerne ne leur ait marqué à leur arrivée à Philadelphie: c'est un homme aussy distingué en procédés qu'il s'est à tous egards pour bien servir le roi dans la mission de confiance dont il est chargé.
M. de Macmahon aide camp de M. de la fayette s'est aussi donné beaucoup de servis pour accélérer le debarquement et la conservation de l'argent du roi