Diary, (Cahier F?), 1943 Feb 21 - 1943 Jun. 30

ReadAboutContentsHelp


Pages

Page 1
Complete

Page 1

« Signalons à la vindicte publique le plus habile, le plus redoutable, le plus capable de ces complaisants, celui dont la grande majorité de la Chambre déplorait l’action délétère et malfaisante, sans oser lui en faire non pas seulement un crime, mais un reproche. C’est ce reproche que j’ai eu le courage de lui faire, autant pour soulager ma conscience que pour éclairer mon pays » (la meilleure épée, la meilleure langue, le meilleur pistolet ). – Coignet p. 134 À [geo] Varsovie [/geo], les Russes emportaient tous les vivres. Il fallait acheter des grains et des bœufs pour nourrir l’armée et les juifs firent de bonnes affaires avec Napoléon. Il nous arriva des vivres de tous côtés ; on fit faire du biscuit. On peut dire que les juifs sauvèrent l’armée tout en faisant leur fortune. p. 142 Sur le midi, il arrive des tonneaux d’eau-de-vie que des juifs amenaient à [geo] Varsovie [/geo], escortés par une compagnie de grenadiers. Ces quatre tonneaux sauvèrent l’armée et les juifs firent fortune. Ils furent escortés jusqu’à [geo] Varsovie [/geo] par une compagnie de grenadiers, à trois francs par jour. Mme Wolf m’apporte de Mme Mook à qui j’avais parlé L’Empreinte, d’Estaunié que je dois parcourir dans un délai de deux jours pour lui expliquer les tendances de ce roman. À moi, elle l’avait refusé de confier, avec cette charmante motivation digne de ses 80 ans : La lecture de ce roman pourrait vous détacher de vos convictions religieuses. – Samedi 27 [février 1943]. Anniversaire de deuil pour ma mère ; 14 ans. Il n’y a pas de jour où je ne pense à sa figure, à son sourire, ses reproches, ses satisfactions, ses déceptions. Appelé à la Tora, on me donne en même temps l’honneur de Hagabaah. – Toute la semaine nous avons vu des chambres pour les

Last edit about 4 years ago by amoloney
Page 2
Indexed

Page 2

Left page

Epstein qui voudraient quitter [geo] Périgueux [/geo]; il faut mettre au moins 2 000 pour 2 pièces et 1 cuisine et aller d’une agence à l’autre. – Tout est pris. Mais le départ de beaucoup d’étrangers crée une résidence forcée aux [geo] Alpes-Maritimes [/geo], procure peut-être de la place aux israélites français jusqu’à ce qu’ eux aussi partent vers une résidence plus ou moins prolongée. Mlle Bernardazzi vient chercher Marthe chez Mme Mook, frappée d’amnésie. On téléphone au Dr Lévy et Marthe ne revient que vers 7 h pour dire qu’il faudrait souhaiter la délivrance à cette vieille de 80 ans qui se croit volée de tout le monde et qui est seule malgré ses trois enfants, mariés. Affaissement de l’idée de famille dans nos milieux. – Entre-temps, j’ai la visite de Mme et M. Kahn, M. Weidenfeld qui a fait ses études talmudiques avec le célèbre Chapiro, une des plus fortes têtes des juifs de l’est et qui a fait ses études juridiques pour entrer dans une assurance et abandonner la foi ; visite de Émile, de Mme Suzanne Aron qui voudrait transférer sa maison des vieillards de [geo] Montpellier [/geo] à [geo] Sospel [/geo] ayant l’aide de M. Donati et demande notre aide pour le préfet par l’intermédiaire [de] Mme Prieur. Femme distinguée, profondément juive, esprit supérieur, maladivement impressionnée par les malheurs qui l’entourent. Le rabbin Schilli lui envoie un télégramme de rester encore quelques jours ; elle voudrait trouver ici un logement pour sa famille. Estaunié p. 195 : Je suis athée, mais je traîne le désir de D. comme un forçat. Tous mes actes suent D. Je ne crois pas au péché et j’ai des remords. Je ne crois pas à la religion et je m’épuise à sa recherche. p. 198

-------------------------------------------------------------------------------------------------------

Right page

Vous possédez la fortune, la jeunesse, la santé, une maturité que je me plais à reconnaître ; de tout cela vous n’avez rien fait, vous ne pouvez rien faire, et voilà l’origine de la révolte qui vous agite. P. 199 La providence a voulu faire de vous son instrument, il est temps de lui obéir et vous tentez en vain de lui échapper. – Le renoncement à soi-même n’est pas redoutable ; il n’est que l’échelon qui permet de s’élever au-dessus du monde en se détachant de lui. On voit mieux de là ce qui s’y passe. – p. 200 Athée ? Il n’est pas de pires illusions que celles de la raison. Savez-vous seulement si la raison peut prouver quelque chose ? Vos lèvres nient D. votre cœur le confesse. – Vous ne mentez pas. Il reviendra. Dieu ne se démontre pas, il est une habitude du cœur. Moi : La foi est un sentiment ; nous ne commandons pas aux sentiments. Lui : La foi est un acte. Il n’est pas demandé de la sentir, mais de s’y tenir. p. 202 J’ai mordu au fruit de science et, le trouvant amer, je l’ai jeté loin de moi. Laissez-moi croire, Seigneur, qu’à votre table les mets sont plus doux, et qu’au sortir du festin vos convives se reposent à jamais, toute l’éternité ! – On me dit souvent le bonheur de savoir mes enfants sauvés. J’ignore jusqu’où va la sincérité des gens, mais mon calme dans l’angoisse qui envahit périodiquement et surtout actuellement les juifs à la conscience inquiète ne s’explique que par la certitude de me survivre par mes chers établis en [geo] Amérique [/geo]. À mon âge, on a montré ce qu’on est, ce qu’on a et ce qu’on peut. Si je dois renoncer à les revoir, la satisfaction d’avoir été souvent et longtemps entouré par eux me consolera. Si les Allemands abrègent mon existence, ils auront la satisfaction d’avoir eu

Last edit about 4 years ago by amoloney
Page 3
Indexed

Page 3

Left page

un père martyr. Dieu les bénira et ils continueront à rester parmi les premiers en [geo] Israël [/geo]. Il y a mille procédés pour conquérir une place dans le monde mais un seul suffit et il faut y tenir. Si les médiocres réussissent de préférence c’est parce que, impuissants à suivre des pistes diverses, ils ne veulent qu’une chose et la veulent bien. Mardi 2 mars 1943. Beaucoup de mouvement à la suite d’une indigestion de la mère Mook qui paraissait d’abord amener sa fin et qui nous procure la visite de Mme René Mook, née Rueff, de [geo] Cannes [/geo], et de son mari qui évalue l’âge de sa mère née, croit-il, en 1862. – M. Berlant apatride est mis de côté tout en continuant à mener la barque, pendant qu’on lui donne un aide qui ne sait pas ce qu’il a à faire, un Français naturalisé Munk, de la famille de Salomon Munk. Après tout, ORT est tout de même en danger de mort, par le départ des étrangers envoyés en résidence forcée au-dedans des [geo] AlpesMaritimes [/geo]. On verra. – Les Delbost viennent dire les bonnes nouvelles de la TSF et regrettent le pessimisme maladif de leur cousine Suzanne Aron qui voudrait établir ici ses vieillards de [geo] Montpellier [/geo] et son bureau avec le rabbin Schilli. Le rabbin Schwartz, de [geo] Strasbourg [/geo], disent-ils, a médiocrement plaidé la cause des juifs devant le maréchal qui l’avait invité pour régler l’affaire de juifs par le sionisme . C’est un apôtre de piètre envergure. Dans Leurs figures, de Barrès, p. 244, le député Déroulède : Vous me dégoûtez tous. La politique est le dernier des métiers, les hommes politiques les derniers des hommes. (J’en ai assez, je donne ma démission.)

-----------------------------------------------------------------------------------------------------

Right page

Vendredi 5. De M. Delbost : Mémoires du général Rapp (1772 à 1821) Paris chez Garnier p. 93 Après [geo] Iéna [/geo]: « Ce n’était plus cette nation fameuse qui devait nous refouler sur le Rhin. Un revers l’avait abattue, un seul coup avait suffi pour la coucher dans la poussière. Elle courait au-devant de la défaite, elle s’abandonnait, elle se livrait elle-même ; jamais nation n’était tombée plus à plat. » Avec quels sentiments lisons-nous ces paroles de Rapp après la défaite de 1940 ? – Dimanche 7 [mars 1943]. Les journées se passent comme toujours ; beaucoup de visites, de paroles vides, hier Marcel Bader est venu en vélo pour la première sortie. Les conversations sur la guerre, les sous-marins à [geo] Villefranche [/geo] et les persécutions sont pour la plupart incontrôlables et inutiles ; on verra le moment donné le résultat des opérations diverses. – M. Delbost me prête François de Curel, Le Repas du lion, pièce en 5 actes, Paris 1903. p. 54 : Le sacerdoce est la plus haute vocation qu’un homme puisse avoir. p. 128 : Chaque fois que l’humanité avance d’une ligne, c’est qu’un isolé est allé bien loin devant elle, éclairant sa route, marchant à pas de géants. p. 124 Au fond du désert, des nuées de chacals suivent le lion pour dévorer les restes de son carnage. Lorsque le lion a le ventre plein, les chacals dînent. – p. 151 Lorsque j’étais un orateur applaudi c’est la foule qu’on acclamait en moi. C’est elle qu’on admire chaque fois qu’un homme s’élève un peu. La lumière dont il rayonne n’est que le reflet de beaucoup de pâles créatures dont il a pillé, voleur sublime, les faibles lueurs. Il deviendrait voleur infâme, s’il oubliait que sa grandeur est

Last edit about 4 years ago by amoloney
Page 4
Indexed

Page 4

Left page

l’ouvrage de tous. Mercredi 10. À ORT, Mlle Delaporte part, professeur de dessin de modes, je lui fais un certificat qui la recommande chaleureusement. Visites de toutes sortes, M. Jorst-Fils pour qui je ne peux rien faire et qui se rend à [geo] Sospel [/geo], les autres qui ne manquent pas. Vu M. André Wertheimer que je reconnais à peine. On ne vit pas trop mal, sans se trouver à son aise. Si on avait une lettre des enfants ! Lu François de Curel, La Fille sauvage, pièce en 6 actes, Stock-Paris, 1902, histoire d’une exotique élevée dans un couvent français, p. 84 La France, l’incorrigible sentimentale dont je ne montrerai pas la phtisie glorieuse cachée sous un fard brillant. p. 111 Chaque fois qu’un peuple atteint un haut degré de civilisation, il découvre les invraisemblances de sa religion et perd la foi ; mais aussitôt il entre en décadence, les égoïsmes deviennent féroces et tout s’effondre dans une mêlée furieuse. (Cette réflexion devrait procurer le nom de philosophe à François de Curel qui a jugé où en était la France, avec sang-froid). De là, cette contradiction singulière qu’on fait de prodigieux efforts vers la vérité et qu’on ne survit pas à l’erreur. Loi fatale, que l’histoire universelle démontre. – p. 162 Mon maître croyait la religion fausse et jugeait qu’on ne peut s’en passer tant qu’on n’a pas une raison supérieure. – Samedi 13. Hier, examen de coiffure, les fils du bedeau Allaman étaient parmi les candidats qui ont répondu à ce qu’on leur demandait. Bonne impression. Mesdames Bader et Gunzbourger assistaient. Vu

---------------------------------------------------------------------------------------------------------

Right page

Émile Lévy qui habite maintenant 1, rue Berlioz. Samedi visite de M. Léon Nasch, de Brunn, docteur en philosophie : possède un certificat brillant, d’élève du séminaire de [geo] Vienne [/geo], signé Schwarz, Samuel Kraus. Nasch est [l’]abréviation de Nikolsbourg, connaît Hirsch, au courant des choses juives, d’une famille traditionaliste. Raconte que leur rabbin Louis Lévy est un mondain qui fréquente les bars et danse publiquement. Entre-temps il aura abandonné ces sports. Visite de Mme Suzanne et son mari Aron, très bien ; ils élèvent les enfants du rabbin Schilli. Aron est cinéaste, fils d’un avocat [geo] d’Oran [/geo], originaire de [geo] Lorraine [/geo]. La Fille sauvage, de François de Curel, p. 134 : Je suis parrain d’une fillette qui s’appelle Marthe. Quand elle avait trois ans, on me l’a un jour confiée pour une promenade. J’ai entrepris de la faire monter sur une colline boisée assez haute. Ce n’était pas une mince besogne. Nous n’étions pas à mi-côte qu’elle geignait déjà, demandait à rentrer. J’étais au bout de mes talents de bonne d’enfants. Soudain un coucou se met à chanter sur le sommet. Aussitôt la figure de Marthe s’éclaire : Écoute le petit coucou ! Je réponds : Il est là-haut, le petit coucou. Maintenant elle trépigne d’impatience. Sa menotte s’accroche à ma main pour me tirer vers la hauteur, et chaque fois que l’oiseau chante, sa figure s’épanouit : Nous allons voir le petit coucou. Et moi, comme un écho : Oui, oui, voir le petit coucou. – Les larmes me viennent aux yeux à observer cette figure candide qui resplendit d’une confiance vieille comme l’humanité. Il me semble que j’emprunte la voix de je ne sais quel destin cruel pour lui répondre encore : Oui, oui, là-haut, le petit coucou. – Tout de même,

Last edit about 4 years ago by amoloney
Page 5
Indexed

Page 5

Left page

grâce à cela, Marthe s’est joyeusement hissée jusqu’au point culminant. Marie : Au moins en arrivant au sommet Marthe a-t-elle aperçu le petit coucou ? – Paul : est-ce qu’on le voit jamais ? Il s’était envolé. On l’entendait bien bas dans la montagne. – Lundi 15 [mars 1943]. Chez les Émile, passé l’après-midi à jouer au bridge. Visite qu’ils ont de Mme Wallach, belle-mère de Roland Dreyfus, et dont le frère Bollak originaire de [geo] Habsheim [/geo] ou de cette région a été arrêté lors de la rafle à [geo] Lyon [/geo] où il travaillait à l’UGIF , a 72 ans, femme et 2 enfants aryens . C’est un cas exceptionnellement dur. Mais que verrons-nous encore ? Mardi 16. On colporte la nouvelle d’une dépêche arrivée à [geo] Nice [/geo], selon laquelle tous les israélites français seraient arrêtés et envoyés en [geo] Allemagne [/geo]. C’est possible. Allons-y. Nous ne valons pas mieux que nos coreligionnaires, polonais ou allemands ; probablement moins, parce que nous les avons toujours traités d’un air de supériorité. Pour le reste, à la grâce de Dieu ! – Le soir on constate que c’était un faux bruit. – Les cours d’orthographe à ORT ne réussissent pas ; il convient de les supprimer. Mercredi 17. On rentre dans l’ordre. – Je lis Les Fossiles, pièce en quatre actes, de Curel, 1892. p. 38 La noblesse n’est pas un préjugé. L’aristocratie reste fatalement un conservatoire de sentiments généreux. Nous ne sommes plus rien en [geo] France [/geo]? Si, nous sommes les oubliés, les dédaignés qui paient l’ingratitude en semant autour d’eux l’esprit d’abnégation. – Signe des temps : un savetier polonais qui ne sait pas son métier me prend soixante francs pour mettre sans goût et sans adresse des talons sur des chaussures

--------------------------------------------------------------------------------------------------------

Right page

qui ne coûtaient probablement pas beaucoup plus lorsque je les achetais il y a six ans. Le 22 avril 1844, Heine écrit dans les [German] Denkworte [/German] pour Ludwig Marcus : sur son [German] Verein fur Kultur & Wissenschaft des judentums: Geistbegabte und tiefherzige Männer versuchten hier die Rettung einer längst verlorenen Sache, und es gelang ihnen höchstens, auf den Wahlstätten der Vergangenheit die Gebeine der älteren Kämpfer aufzufinden [/German]. Ce passage est plus compromettant pour lui que sa conversion même. Dimanche 21. Les journées passent paisiblement. Lu François de Curel, La Nouvelle Idole, faible, on s’attend à une confrontation des principes scientifiques avec la religion. L’auteur discute la question si le savant a le droit de tuer celui qui est voué à la mort quand on pourrait tirer profit de l’expérience dans l’intérêt de la science. – Vendredi petite promenade à [geo] Saint-Maurice [/geo] voir les Berger ; rien. Au temple, une poignée de personnes. Aujourd’hui c’est Pourim ; mais il n’est pas encore pendu, ainsi que je l’avais prédit . Je suis un prophète médiocre. Au sujet de cette guerre, il est prudent d’attendre, parce qu’on ne peut faire davantage. Que font entre-temps nos enfants ? On a invité pour Pourim les Zeckendorf pour le goûter et le Whist. Tout à coup on sonne et les Nizard, de [geo] Marseille [/geo], viennent fuyant devant des Allemands qui leur ont pris les bijoux du coffre-fort en les invitant à revenir à [geo] Marseille [/geo] dans un mois. C’est peut-être la mystification d’un adroit gangster qui s’est dit de la Gestapo, mais l’arrestation de leur frère Simon dont on ne sait plus rien depuis des semaines est un fait réel et triste. On les invite à prendre le thé avec les Zeckendorf, et ainsi se passe ce Pourim ; on parlait

Last edit about 4 years ago by amoloney
Displaying pages 1 - 5 of 33 in total